le choix de l’incertitude

La décision française de se lancer à fond dans la filière nucléaire au milieu des années 1970 est liée au cours du pétrole, mais trouve aussi une part de son explication dans d’autres problèmes posés par le commerce extérieur et les flux de capitaux. En toile de fond, la guerre froide et sa course à l’armement (sous-marins, ogives…).

 

L’arrivée sur le marché du travail de la génération du baby boom a des chances d’annuler rapidement l’effet sur la consommation du relèvement des bas salaires en 1968. Jusqu’à ce moment cependant, la modération salariale a permis des gains de productivité tout en étant rendue acceptable par l’accès facilité à un marché international offrant l’occasion d’exporter et d’importer dans des conditions avantageuses. Mais celles-ci semblent alors en cours de disparition ; d’une part du fait de l’inflation* entretenue par l’arrivée à saturation des capacités de production et de la réduction de la demande qui y est liée : la moindre disponibilité des gains de productivité fait pencher le rapport de force en faveur des travailleurs, et la montée des prix qui en résulte réduit la motivation à bosser (tant que le chômage n’est pas au rendez-vous) – la rentabilité des entreprises s’en ressent via la pression à la hausse sur les salaires, et l’investissement en est affecté ; et d’autre part la fin du système de Bretton Woods entre 1971 et 1973 fait plonger le dollar, ce qui réduit le pouvoir d’achat du plus grand marché au monde tout en gênant les exportateurs européens, tandis que le flottement des monnaies pousse à obtenir une balance* commerciale positive pour accumuler les devises servant à soutenir sa monnaie en cas d’attaque spéculative, mais aussi pour investir dans les « pays en voie de développement » où la rentabilité est meilleure, et enfin pour continuer à importer – par exemple du pétrole dont le prix augmente avec le premier choc pétrolier en 1973.


Le choix par la France de miser sur l’atome pour sa production d’électricité avec le Plan Messmer de 1974 s’explique en partie par son relatif dénuement en charbon (comparé à des voisins comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni). L’uranium, que l’on importe selon son cours – il en reste encore aujourd’hui dans le sous-sol national, ne représente qu’une faible part des coûts de production de l’énergie fournie par les réacteurs (en suspend, la question des déchets – et donc la sécurité de l’emploi dans la recherche). Il faut aussi prendre en compte l’existence d’un programme nucléaire préexistant[1], répondant aux enjeux de la guerre froide : pour réarmer l’Allemagne (j’imagine), les États-Unis acceptent et aident à la construction de la bombe en France (on ne l’apprendra qu’en 1989), engagée militairement en Algérie et au Cameroun après la guerre d’Indochine. Les relations est-ouest donnent une autre clef de compréhension à la question de « l’indépendance » énergétique : avec la fin de la guerre du Viêt-Nam et la hausse du cours du pétrole, l’URSS fait de l’exportation d’hydrocarbures la source de la moitié de ses entrées de devises.

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La part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité se stabilise à la fin des années 1980, certainement sous l’effet des contre-chocs pétroliers de 1982 et 1986 (année du nuage de Tchernobyl), résultats en partie de décisions quasi-inexplicables de l’OPEP et des 7 Sœurs – si l’on ne prend pas en compte la guerre économique menée par l’Occident contre l’Union soviétique. La remontée spectaculaire de l’or noir dans les années 2000 sera interrompue par la crise de 2007-2008, puis on observera une stabilisation du prix du baril à un niveau élevé dans la première moitié des années 2010, qui ne permettra pourtant pas un investissement proportionnel dans le nucléaire – au moins en partie du fait de la catastrophe de Fukushima en 2011.

Note

1. La technologie des premiers réacteurs, qui produisent du plutonium, est choisie en fonction des besoins militaires : le plutonium est utilisé pour les têtes nucléaires et les petits réacteurs « à neutrons rapides » des sous-marins.

 

Bibliographie

Reflets de la physique n°60, décembre 2018, L’électricité nucléaire, questions ouvertes et points de vue
Avenir radieux, une fission française – Nicolas Lambert, 2016
The Oil Card – global economic warfare in the 21st century – James R. Norman, 2008
La CGE d’Ambroise Roux, archétype du « champion national » – Martine Orange, in Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, 2009

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