shopfloor

La crise de surproduction – due à l’indisponibilité d’investissements suffisamment rentables – survient quand la demande d’un secteur majeur perd son élasticité aux prix[1] [avec l’indisponibilité du crédit – travaux de Ben Bernanke], ce qui a des risques de se produire là où l’industrie est concentrée[2] (car les prix sont déjà au niveau plancher ailleurs) et assez directement en amont du secteur des biens de consommation, voire dans ce secteur même (les consommateurs sont souvent les premiers à connaître des difficultés). La crise permet aux industriels qui la déclenchent [reste que les plus gros peuvent y avoir intérêt et les moyens d’y contribuer] d’éliminer ou de racheter la concurrence plus fragile car moins capable d’encaisser des chocs violents[3]. Les grandes entreprises ou secteurs particulièrement rentables et encore relativement faiblement implantés peuvent avoir intérêt à augmenter les salaires afin de forcer les autres à s’aligner de crainte de voir leur capital humain s’échapper – la réduction du taux d’épargne[4] joue en faveur des nouveaux entrants (qui ont habituellement un accès moins privilégié au crédit). La guerre est un compromis entre les différents composantes de l’industrie – et peut aussi servir à éliminer le chômage en surplus. Mais au contraire d’une crise déflationniste, durant laquelle le capital physique est préservé tandis que les titres donnant lieu à une part des profits se concentrent entre quelques mains, la guerre donne lieu à une croissance de la dette publique et en miroir à la multiplication des créances et donc des droits à une portion de la plus-value générée : le taux de profit en devient plus dur à préserver.

James Bridle 2017 – Autonomous Trap 001

Quant à la raison fondamentale des crises de surproduction, Karl Marx considère que l’on peut la trouver dans la tendance du capitalisme à faire baisser le taux de profit sur le long terme. Au lieu de chercher à maximiser la plus-value, c’est-à-dire la quantité de surtravail (le temps de travail au-delà de celui utile à la reproduction de la force de travail), la recherche désorganisée du profit incite à réduire les coûts de production notamment par la mécanisation – qui contribue à faire pression sur les salaires via la recherche de travail de ceux mis à la porte. Pour voir le taux de profit baisser, il suffit alors que le rapport entre le capital constant (infrastructures, bâtiments, machines, biens intermédiaires et matières premières utilisés par l’activité productive) et la valeur totale nouvellement créée (par le travail socialement nécessaire et le surtravail[5]) augmente plus vite que le taux de plus-value (le rapport entre la plus-value et le capital variable – les salaires des travailleurs productifs), or les gains de productivité dans la production de l’équipement industriel sont moins rapides que dans celle des biens de consommation – du fait entre autres d’économies d’échelle relativement réduites liées à un marché plus étroit (et peut-être surtout parce que les innovations ont moins d’applicabilité dans un marché plus segmenté), tandis que la journée de travail ne peut pas être prolongée indéfiniment. Il y a peut-être là de quoi méditer davantage sur les affirmations d’économistes discrédités (et pour ma part oubliés), considérant la terre comme unique origine de la richesse.

Bernardo Bertolucci (1976) – Novecento

La financiarisation de l’économie depuis les années 1980 semble offrir l’illusion d’un taux de profit qui se maintient – à moins qu’il ne s’agisse de la grande marge de progression des « marchés émergents », tandis que la consommation à crédit s’avère une solution temporaire (qui dure) à la surproduction.

Notes

1. C’est-à-dire que les commandes n’augmentent pas même si les prix baissent. À l’échelle mondiale, les salaires étant inférieurs à la valeur totale de la production, des profits sont dégagés et en partie réinvestis dans l’appareil productif, ce qui réduit les coûts de production – et les coûts de reproduction de la force de travail (contribuant à faire pression sur les salaires). Les machines utilisées dans la production incorporent le travail nécessaire à leur propre production, et le transfèrent aux produits qu’elles servent à produire. Si un processus de production est plus rentable qu’un autre, alors il attire davantage de capitaux.

2. Typiquement là où la part de l’équipement industriel dans les coûts de production est prépondérante.

3. Du simple fait de la taille.

4. Les travailleurs épargnant moins que les capitalistes (quasiment par définition), une part plus importante des salaires fait monter les taux d’intérêt*. Les firmes offrant comme service des gains de productivité doivent aussi voir d’un bon œil des hausses salariales si elles doivent rendre leurs produits plus compétitifs, ce qui dépend entre autres de la part du travail dans leurs coûts de production : le coût des matériaux et équipements peut ne pas progresser autant que les salaires du fait de la compétition entre les fournisseurs (dumping).

5. La valeur est mesurée en temps de travail productif (les activités chargées de l’extraction de la plus-value diminuent la quantité de cette dernière – on parle de secteurs non-productifs*). La valeur de la force de travail (la capacité à travailler) est le temps nécessaire à sa reproduction. Dans un monde où tout le travail aurait été mécanisé, les profits seraient tirés de la plus-value qu’il reste à extraire du surtravail du passé. La durée de conservation de la valeur dépend de la destination de la production : si les machines ne servent qu’à produire d’autres machines, elle est virtuellement infinie. Une telle situation implique qu’il n’y a plus d’humains dont il faut satisfaire les besoins, ou alors que ces derniers sont remplis pour un coût infinitésimal – or cela veut dire que les machines produisent essentiellement pour la consommation ; la contradiction est double, puisqu’alors le travail humain devient suffisamment compétitif pour remplacer des machines. [Si tout le travail est mécanisé, le capital n’a aucune valeur, puisque le reproduire ne demande pas de travail humain.] La tendance à la concentration de l’économie (fusions et autres cartels [relire the Triumph of Conservatism]) – due à l’élimination des plus faibles et visant à préserver le taux de profit – supprime graduellement l’illusion d’un profit que l’on ne tirerait pas de l’exploitation des travailleurs mais de la spécialisation ou de l’asymétrie de l’information.

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